MARTIN: Ce réaliste qui fabrique du rêve
Il y a encore une semaine les motos qui font rêver toute une
partie de la France motarde étaient assemblées dans une
pièce de trois mètres sur cinq. Quand nous sommes
arrivés, un mécanicien balayait les lieux en secouant
sa nostalgie. Un nouveau local sera désormais exclusivement
réservé au montage et à la réparation des
Martin. C'est le deuxième volet de l'expansion Martin, le
premier étant l'achat en début d'année d'un
local de 1000 mètres carrés, car s'il fabrique des
motos de rêve, Georges Martin est un stratège qui garde
les pieds sur terre et a le sens des affaires. Aussi après
avoir longuement hésité, il s'est lancé dans
l'artisanat industriel avec une lucidité qui lui permet
d'éviter les deux pièges menaçant tout individu
décidé à bâtir: les idées de
grandeur et la modestie.
Georges n'est pas peu fier de ce six cylindres Honda. La largeur du
moteur lui a posé un nouveau problème. "Je
dégrossis d'abord l'empattement. l'angle de chasse et la
position du moteur, l'instinct et l'expérience jouent à
parts égales."
Quand Georges Martin vient vers vous, on se dit que c'est tout le
contraire des cadres chromés qu'il vend. Un grand bonhomme
avec des paluches qui battent l'air, une bouche qui rigole tout le
temps et des lunettes qui chavirent sur le nez, le tout ficelé
dans une blouse grise farcie de stvlos. On se dit qu'il ne va pas
être bavard et il parle comme un torrent. C'est peut-être
parce qu'il a du mal à démarrer, alors il ne veut plus
s'arrêter. Oui il parle Martin, de ses motos, de ses clients de
l'industrie et du reste. C'est comme ça qu'il nous S tout
raconté en un après-midi, planté dans son
hangar, alors qu'il venait de nous dire qu'il avait du boulot mais
qu'il nous expliquerait tout le soir...
Où Martin s'explique sur son coup de crayon
"Les clients sont de plus en plus exigeants, commence Georges,
ce qui est important c'est qu'ils ne se trompent pas sur les Martin.
J'emploie souvent un exemple que je trouve révélateur
en discutant avec ceux qui se plaignent d'avoir une moto encore trop
lourde. Mes motos ne gomment pas les défauts des Japonaises !
Elles apportent une conduite différente, c'est tout. Si vous
voulez, Simca a fait deux voitures à partir du moteur 1100, la
Simca TI et la Baghera... mais ils n'ont pas fait une Ferrari ou une
Porsche ! Et bien c'est pareil, j'habille une moto normale d'une
façon différente et si elle est plus directe que la
1000 d'origine, elle ne devient pas une 500 de grand prix I "
Ce
n'est pas un hasard si Martin parle d'entrée de ce que lui
réclament les motards. Sa réussite est fonction, et il
le sait, d'une écoute attentive des désirs motards.
"Les gars ont envie d'une certaine forme de technique qui n'est
peut-être pas la plus efficace, mais la plus originale, la plus
voyante. Le cadre est un bon exemple. Nous savons que le cadre ouvert
qui équipe les Kawa et Suzuki encaisse moins bien la puissance
dans des conditions optimum que le cadre fermé que j'ai
dessiné pour la 900 Honda. Et bien les clients réclament
le cadre ouvert parce qu'il est plus beau ! "
Là Georges te regarde dessous les lunettes pour voir si tu as
bien compris, parce que c'est important. "Ce qui veut dire que
nous devons faire très attention aux choix de nos solutions
techniques. Les solutions valables an course sont souvent trop
chères a réaliser et trop sophistiquées pour que
les gars puissent les mettre au point. Alors, il faut chercher un
compromis puisqu'ils veulent de la technique course ! Le Cantilever
est un bon compromis entre le confort et la tenue de route et c'est
aussi une solution originale...
Quand je dis que la solution ne doit pas être trop
sophistiquée c'est parce qu'alors elle devient peu fiable dans
le temps. Pour les Kawa, je pouvais faire un amortisseur droit type
motos de vitesse de Ballington et Hansford; ç'aurait
été un système magnifique mais fragile en
égard au nombre supplémentaire de pièces an
mouvement. "
Rajustage de lunettes et silence pour qu'on digère le principe
et ses conséquences. "Il faut donc toujours étudier
une pièce avec un triple objectif, un côté
technique course qui fait notre clientèle, une
simplicité de réalisation qui garantit la
fiabilité, et avoir toujours le prix de revient dans la
tête, car on peut tout faire mais pour quel prix ? "
Où on apprend comment les Martin sont fabriquées
D'entrée. la couleur est donnée. Martin n'est pas un
rêveur et il rejette avec autant de netteté la
construction d'une vraie moto de course que la mise an place d'une
industrie livrée pieds et poings liés a la moto.
"J'ai longtemps hésité avant de me lancer à
fond dans la fabrication à grande échelle. Tout l'hiver
j'ai réfléchi. Le marché de la moto n'a pas un
horizon de rêve et il faut regarder la réalité en
face. Cependant, je me suis lancé sous certaines conditions.
Le local en zone industrielle sert uniquement pour la soudure. Avec
le montage et la réparation, ce sont les postes qui me
concernent. Mais pour le reste nous sous-traitons tout.
Tourneur, chromeur, plastique et roues, pour tous ces postes je
travaille avec l'extérieur, des ateliers
spécialisés en général déjà
liès au secteur automobile. L 'intérêt est
double. Il est impossible à l'heure actuelle de trouver un
personnel spécialisé dans la construction moto.
Déjà pour former mes soudeurs, il a fallu du temps car
c'est quand même spécial, alors s'il fallait assumer
tout le reste... De Plus il y a un problème de
rentabilité. Les gens avec qui nous travaillons livrent
l'automobile et ont ainsi un volume de fabrication qui leur permet de
baisser leurs prix. Si nous réalisions ces pièces
nous-mêmes, elles seraient beaucoup plus coûteuses. Mais
j'insiste aussi sur le problème du personnel. Quand j'ai
monté l'atelier, l'ai recruté des gars forts en
serrurerie, et bien il a fallu un temps pour qu'ils se
spécialisent dans nos types de soudure. En plus, il est
important que ce soient des gars du coin. Sinon ils ne restent pas et
ça met la panique dans les délais. Je peux dire
maintenant que j'ai moins peur qu'au début d'avoir investi 50
briques dans ce local. Quoi qu'il arrive je peux me recycler et faire
travailler mes gars sur du matériel si la moto capote, cette
polyvalence est notre survie en cas de crise, mais je ne crois pas
qu'on en ait besoin. En fait, si ça se passe comme aux USA,
plus il y aura limitation plus il y aura une cilentèle pour
les café-racers...
Ce que je veux maintenant, c'est garder une dimension raisonnable
à la fabrique et à l'intérieur d'elle peaufiner
les secteurs. Exemple l'atelier de montage et de réparation,
qui était dans le fond de ma concession multimarques,
s'installe rue Buffon, mon premier local où je vais tacher
d'installer un atelier ultramoderne de montage et de
réparation. Il existe des outils aux Etats-Unis qui permettent
de gagner un temps fou et puis c'est aussi une question de prestige.
Il faudra que les clients voient ça. Ce sera peut-être
long à amortir mais sur le plan de notre image ce sera
bénéfique. Il faut aussi savoir penser ainsi. "
Où le réalisme de Martin est démontré
Mais les Martin ce sont aussi des moteurs Kawa, Honda, Sutuki ou
d'autres encore à la commande. Là encore, Martin
étonne par son sens des affaires évident. " Avec
Kawa, j'ai réussi à obtenir les moteurs
séparés mais Honda me vend les 900 Bol d'Or
entières ou rien. Alors il faut que je me débrouille.
Heureusement, comme je suis en rapport avec tous les motocistes qui
me commandent des kits pour leur clients, je revends tout ce qui ne
m'est pas utile sur la moto à un prix pièces
détachées intéressant pour tout le monde. C'est
le seul moyen de rentabiliser. Ce qui m'intéresse c'est de
griller le réseau de distribution classique. La
clientèle n'est pas éduquée à acheter par
correspondance pourtant elle doit savoir qu'un représentant
qui entre dans une boutique c'est déjà 15 % en plus !
C'est
pourquoi j'essaie d'importer tout ce que je vends ou à la
rigueur de passer par un grossiste au Japon. Pour les fourches
Marrocchi et les disques Brembo, je finis par prendre de telles
quantités qu'ifs me font des prix intéressants. Sinon,
j'importe les filtres à air KN, les chaînes EKA, les
kits Yoshimura.
Pour donner un ordre d'idée la chaîne directement du
Japon vaut 390 F et achetée chez l'importateur, 776 F facture
en main. Faut que les motards réfléchissent. J'insiste
sur le détail des problèmes de prix parce que c'est
vital. Si on ne tire pas les prix on dégoûte les motards
et c'est comme ça que le marché va tomber parce qu'on
écure trop les gars. J'ai été motard et je
sais ce que c'est de compter ses sous pour rouler ! " |